Que de fois ai-je entendu qu’il faut régler le passé pour avoir une chance d’avoir une bonne relation! J’ai fréquenté un certain temps un site de rencontres où les deux choses qui revenaient le plus souvent dans les désirs étaient que le passé soit résolu (présumant que la personne qui faisait cette demande avait, elle aussi, résolu son passé, j’imagine). La seconde chose revenait comme un leitmotiv: ce que beaucoup de personnes souhaitaient était de “vivre et laisser vivre”. Il n’a fallu que quelques conversations pour m’apercevoir que ça tenait davantage du vœu pieux que de la réalité. On peut s’imaginer qu’il y a des chances que la question du passé résolu penche aussi du côté du même vœu.
Nous avons accueilli cette amie qui nous racontait l’échec de sa relation récente. Son ex-amoureux est un psychologue, rien de moins. On peut dire de cette amie qu’elle est posée, pondérée, qu’elle applique à fond la technique du “je”, qu’elle pèse ses mots. Et pourtant toutes ses tentatives d’amener de la fonctionnalité dans sa relation ont été reçues comme des propos moralisateurs, dans son écoute à lui.
Par moralisateur, j’entends que tout ce qui tombe dans son écoute à travers ce filtre devient un reproche, une tentative pour le changer. Ce type devenait incapable de répéter à notre amie ce qu’elle venait juste de lui dire sans que ce soit gonflé, déformé, accusateur, ce qui ne correspondait pas du tout au propos.
On comprend qu’un psychologue devrait être un cordonnier mieux chaussé, et pourtant, un psychologue, malgré tout le travail obligatoire pour le devenir, est avant tout un être humain avec ses blessures d’enfance. Comme nous tous.
Je pose donc de nouveau la question: est-il possible de régler le passé? Que veut-on dire par régler? Que tous ces boutons qui nous déclenchent n’aient plus d’effet? Qu’il n’y ait plus d’émotion attachée au fait de revivre un événement du passé déclenché par une critique? Qu’on peut maintenant avoir la tête froide en toute circonstance?
J’ai fait beaucoup de travail sur moi-même avant de vous dire ceci: je ne crois pas qu’il soit possible de régler son passé une fois pour toutes. Je crois plutôt qu’on peut travailler à distinguer les signes avant-coureurs avant que la boule de neige devienne une avalanche. J’ai connu un Néo-Zélandais qui pouvait détecter la moindre secousse tellurique là où on ne percevait rien, et bien avant qu’on lise dans les journaux du lendemain que la terre avait tremblé dans la région de La Malbaie. La terre tremble très souvent en Nouvelle-Zélande et tous ses habitants ont développé cette sensibilité qui peut les sauver. C’est de ça qu’il s’agit: développer notre sensibilité à sentir qu’un tremblement de terre se prépare dans les entrailles de notre vie.
La vie de couple, pour peu qu’on le désire vraiment, est un terrain d’entraînement fabuleux pour développer cette conscience. Il faut le vouloir évidemment, car cet entraînement ne va pas sans douleur et sans risque. Mais qu’on le veuille ou pas, la vie nous testera. Alors aussi bien s’y faire et tâcher d’apprendre ce qu’on a besoin d’apprendre.
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